Son histoire peut s’écrire à travers ses fragrances. House of Creed fête ses 260 ans avec autant de best-sellers que d’ambassadeurs. Alors que la maison ouvre un corner au Bon Marché, retour sur une success-story familiale entre l’Angleterre et la France.
Tout a commencé dans le sillage des étoffes. En 1760, à Londres, la même année que l’accession au trône du roi George III, une nouvelle maison de confection s’installe à Mayfair sous le nom de House of Creed. Son fondateur, James Henry Creed, aux petits soins avec ses clients de la haute société anglaise, dépose parfois quelques gouttes de parfum sur ses créations pour plus de raffinement.
Sur les pièces en cuir, c’est aussi le moyen de masquer l’odeur laissée par le tannage. Le tailleur a la bonne idée de faire livrer au souverain une paire de gants ainsi parfumés. Le jeune roi, exalté, demande alors à James de lui concevoir son propre parfum. Royal English Leather voit le jour. C’est le premier parfum de la maison et le début d’une longue collaboration avec les familles royales.
Eugénie lors de l’inauguration du Canal de Suez
En 1854, sous le patronage de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, grande représentante de la mode européenne, House of Creed transfère son siège à Paris, rue de la Paix. En 1869, Eugénie arrive à Port-Saïd pour l’inauguration du canal de Suez vêtue d’une robe de yachting crème en sergé léger imprégnée d’un parfum délicat – l’ancêtre, aujourd’hui, du fameux Jasmin Impératrice Eugénie.
Le succès de la toilette et de ses effluves retentit dans toutes les cours européennes si bien que House of Creed en devient rapidement le fournisseur en matière de vêtements et de parfums sur-mesure. La petite-fille de George III, la reine Victoria, lui accorde même un mandat royal grâce aux tenues d’équitation que la maison lui confectionnait.
Dans les années 1900, Creed ouvre une boutique à Nice. La Côte d’Azur est déjà le lieu de villégiature où il faut aller. Mais c’est aussi à 25 km de Grasse – bientôt la capitale française de l’industrie du parfum –, l’endroit idéal pour faire le plein de lavande, de mimosa et de roses.
De Churchill à Mickael Jackson
Les années passent, les pères et fils Creed se succèdent et le carnet de commandes de la maison ne désemplit pas. En 1941, le magazine Country Life vante « le charme des vêtements Creed ». Entre la boutique de Londres et celle de Paris, désormais rue Royale, la couture Creed prend une place à part dans le monde de la mode et du luxe. Mais ses parfums aussi et de plus en plus.
La maison compose celui de Winston Churchill – Tabarome, à base de tabac forcément – ou encore de Grace Kelly – Fleurissimo qu’elle porte lors de son mariage avec le prince Rainier en 1956, laissant ainsi sur son passage dans la cathédrale Notre-Dame-Immaculée de Monaco un délicieux sillage floral. C’est Madonna qui porte désormais la fragrance princière.
On ne compte plus les stars, acteurs ou politiques parfumés par la maison, de JFK (Vétiver) et Mickael Jackson (Orange Spice) hier à Elton John (Royal Water), Michelle Obama (Love in White) ou encore David Beckham (Silver Mountain) aujourd’hui. Quincy Jones achèterait le parfum Green Irish Tweed par cartons entiers. La maison séduit même les rappeurs comme Usher (Original Santal) ou Fifty Cent qui mit à l’honneur dans un de ses clips le parfum Millésime Impérial et son flacon doré.
Flacons en forme de « flasque de whisky »
C’est surtout sous l’impulsion d’Olivier Creed, représentant de la 6e génération à arriver à la tête de la maison dans les années 70, que l’activité parfums décolle et prend progressivement le pas sur la couture. Désormais, sous la verrière de la boutique de l’avenue Pierre Ier de Serbie, où se tenait il y a encore 20 ans une table de coupe, un élégant salon accueille les clients.
« J’ai commencé à créer des parfums à l’âge de 18 ans, confie Olivier Creed. Ma grand-mère m’a beaucoup aidé, elle m’a notamment donné un moule pour que je fabrique les flacons, et mon père m’a dit que si c’était vraiment ce qui me passionnait, je devais persévérer dans cette voie. » C’est à Olivier qu’on doit notamment les fameux flacons en forme de « flasque de whisky » reconnaissables entre mille.
Né à Nice mais doté d’un passeport britannique, cet enfant de la balle est aussi passionné par la peinture – plus jeune il lui arriva de peindre aux côtés d’un certain Georges Braque… La maison composa d’ailleurs un parfum pour lui (Bois de Cédrat). La différence entre une toile et la création d’une fragrance ? « Contrairement à un tableau achevé, explique le nez artiste, un parfum peut théoriquement être ajusté et amélioré à l’infini. »
La bergamote zestée, une signature olfactive
Olivier n’hésite pas à parcourir le monde pour dénicher des fleurs rares, des épices délicates, les meilleurs ingrédients possibles pour ses jus d’exception. Tous des produits naturels ou presque – la maison reconnaissant dans ceux de synthèse des senteurs expérimentales intéressantes et des vertus en termes de protection de l’environnement. À Florence, le parfumeur débusque les iris les plus nobles à Mysore en Inde, le meilleur bois de santal à Haïti, le vétiver en Sicile, les citrons les plus parfumés en Calabre, la bergamote zestée que l’on retrouve dans la plupart de ses créations, un peu comme une signature olfactive.
La fabrication des fragrances est tout aussi méticuleuse, riche d’un héritage de plus de 260 ans. C’est dans un laboratoire à Ury, près de Fontainebleau, une ancienne écurie du XVIIIe siècle, que toute la virtuosité alchimique de Creed s’exprime. Précision du geste, technique… ici on prend son temps et on compose artisanalement selon un processus aujourd’hui abandonné par les parfumeurs. Par exemple, le pressage des ingrédients se fait toujours à la main tout comme la macération.
L’arrivée de la 7e génération
De l’extraction à la stabilisation du parfum, tout est réalisé en interne selon des techniques traditionnelles. Olivier est assisté d’une cinquantaine de personnes. Parmi elles, son fils, Erwin, la 7e génération. Ce dernier a notamment participé à l’élaboration des fragrances Virgin Island Water à base de musc et noix de coco ou du best-seller Aventus.
Mais « si Erwin n’en reste pas moins un excellent parfumeur, souligne Olivier avec fierté, il a choisi de se consacrer à la vente, au marketing et à la distribution qui sont tout aussi importants. » Erwin est aujourd’hui le directeur de la maison. La relève est assurée. Et il est sûr qu’avec cet adepte des courses automobiles, House of Creed continuera de rester en pole position.
Creed, 38 avenue Pierre 1er de Serbie, Paris VIII.
Création de House of Creed, maison de confection établie à Londres et fondée par James Henry Creed.
Le siège est transféré à Paris, rue de la Paix sous l’impulsion de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie.
Inauguration du canal de Suez : l’impératrice Eugénie est habillée d’une tenue Creed imprégnée de jasmin qui propulsa la maison en tant que fournisseur des familles royales européennes.
Transfert de la boutique parisienne rue Royale, juste à côté de Molyneux, autre maison de couture et de parfums anglaise.
Arrivée d’Olivier Creed à la tête de la maison. Le virage vers la parfumerie.
Ouverture de la boutique de l’avenue Pierre Ier de Serbie à Paris. Une seconde ouvrira rue des Saints-Pères en 2013.
Création de Green Irish Tweed, une fragrance mondialement connue, issu de l’héritage de la famille Creed dans le domaine de la confection et notamment des années d’apprentissage chez Linton Tweeds dans le nord de l’Angleterre.
Pour les 250 ans, lancement d’Aventus, inspiré d’Alexandre le Grand et Napoléon, devenu un best-seller mondial. Une eau de parfum aux notes de cœur fraîches et florales évoluant vers un sillage boisé.
Sortie de la collection Les Royales Exclusives, les parfums les plus luxueux de la maison dans des flacons recouverts d’or 10 carats.
Lancement de Viking Cologne et ouverture d’un espace au Bon Marché.