Au secours ! Les cadeaux de Noël

Dans un monde où l’on a tout, pas facile de faire plaisir. Certains se débrouillent mieux que d’autres… Dans tous les cas, chaque présent porte un message – souvent plus subtil qu’on ne le pense.

Pour mettre du second degré dans l'échange des cadeaux, on opte, comme le légendaire Mark Darcy dans Bridget Jones, pour un pull moche de Noël. ©Moviestore Collection LTD / Alamy banque d'images.

Dans Fort Alamo, le dernier roman de Fabrice Caro, Cyril, le narrateur, est nul en cadeaux de Noël. Il doit pourtant trouver ceux de ses neveux, « cette génération qui vous regardait avec des yeux de poisson mort dès que vous leur tendiez un objet autre qu’un téléphone ». Pour lui, « Noël était un immense générateur de déception dont on devait scrupuleusement respecter les règles ». À propos de sa belle-famille : « tout était codifié. Le rituel des cadeaux, du moins des cadeaux entre adultes, était régi par une loi, aussi tacite qu’étrange, consistant à s’offrir les mêmes cadeaux tous les ans tout en paraissant surpris. Et tout le monde jouait le jeu de l’amnésie collective et complice […] Comme tous les ans, ma belle-mère allait m’offrir le Goncourt. Je n’en avais pas lu un seul. Et tous les ans, elle me demandait ce que j’avais pensé du précédent, et tous les ans, je répondais “j’ai beaucoup aimé, c’est traité avec beaucoup de finesse et de psychologie, et puis ça dit beaucoup de notre société, je trouve”. Et tous les ans, elle concluait, “ j’étais sûre que ça vous plairait”, ce qui me confirmait qu’elle ne les lisait pas non plus. »

Un pyjamas moche

Comme le héros de ce roman doux-amer, pour Gilles G., 48 ans, directeur commercial, à chaque Noël, c’est pareil. « Systématiquement, ma mère m’offre du matériel de cuisine. » L’année dernière, c’était un lot de faitouts en fonte. Celle d’avant un set d’une trentaine d’ustensiles. Il y a trois ans, un batteur-mélangeur-cuiseur aussi gros qu’un frigo. « Mais pourquoi ? si au moins, je cuisinais… » se demande ce père divorcé qui préfère commander sur Deliveroo plutôt que de passer des heures derrière les fourneaux. Même incompréhension pour Romain F., 50 ans, avocat, toujours tiré à quatre épingles dans de beaux costumes croisés. Lui, il a une autre malédiction, celle des pyjamas moches que sa belle-sœur s’évertue à lui offrir chaque année. « J’appréhende le moment d’ouvrir le paquet en me demandant sur quelle atrocité je vais tomber. La dernière fois, il était vert comme le bonhomme Cetelem avec l’inscription “le Roi des Bisous”. J’ai de l’humour mais quand même… Je me suis demandé si elle ne se foutait pas ouvertement de moi. » Et que dire de la chemise taille 42 que Maxence V. a trouvé au pied du sapin, lui qui fait du 46… Faut-il y voir un message ?

Le Kamasutra breton

Offrir n’est jamais anodin. « On est dans une communication non verbale. Le cadeau a un sens caché et il contient toujours un message subliminal, explique Sylvie Tenenbaum, dans son livre Ce que disent nos cadeaux (éd. Leduc). Ces présents sont souvent des actes manqués qui peuvent réussir, mais qui peuvent aussi faire très mal. » Par exemple, si vous offrez le Kamasutra breton – pour rire – à votre belle-mère plougastellen, ça peut être mal perçu (même si votre beau-père est lui aussi breton). Même chose si vous offrez chaque année un pull en cachemire jaune à votre femme, alors qu’elle vous a déjà dit mille fois qu’elle détestait cette couleur. Le message envoyé ? « Je ne fais pas attention à toi. »

Une montre si bling bling

La négligence émotionnelle, c’est exactement ce qu’a éprouvé la femme de Christophe S. en recevant, de la part de ce dernier, une Rolex, un matin de Noël. Une montre si bling bling et statutaire, pour elle si bohème et discrète ? « Je pensais avoir visé juste, elle m’a reproché, vexée comme un pou, de ne pas la connaître », raconte cet homme maladroit, désormais affublé de la fameuse Rolex à son poignet. « Parfois, nous offrons ce qui nous fait plaisir à nous ou ce qu’on n’ose pas s’offrir, sans vraiment penser à l’autre, explique le psychologue Régis Bachalard. Il faut savoir se dépasser pour faire plaisir, être à l’écoute de l’autre et se projeter vers lui. En deux mots, être empathique. »

Le premier photophore venu

Cependant, être systématiquement « à côté » n’est pas forcément un acte égoïste, de désamour ou un signe de mauvais goût. Parfois, c’est juste une question de pudeur. « Certains ont du mal à se dévoiler à travers un “cadeau obligé”. La pression de Noël les fait paniquer, explique encore l’expert. Alors, ils achètent à la va-vite le premier photophore venu. » Rien ne vous empêche ensuite de le « refourguer »… à votre belle-sœur au pyjama moche par exemple… C’est la tendance du « regifting », réoffrir à quelqu’un d’autre ce qu’on a reçu en lui faisant croire que cela a été spécialement choisi pour lui. Pas « joli-joli » diront certains… Peut-être, mais à l’heure de l’urgence climatique, c’est un geste écoresponsable qui évite le gaspillage. C’est l’économie circulaire du cadeau ! Après tout, c’est l’intention qui compte, non ?   

Par Hélène Claudel


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