Dans un contexte mondial plus qu’inquiétant, la mode surfe sur « l’avant apocalypse » ou « dystopiacore ». Une nouvelle tendance du côté obscur de la force.
On connaissait le « normcore », visant à porter des jeans des années 90 et ériger le « no look » voire le super ringard comme la hype absolue. Puis, il y a eu le « dormcore », l’art de vivre en pyjama, très vite supplanté par le « cottagecore », l’apologie de la campagne, du « do it yourself » et du look de Charles Ingalls.
Une tendance suivie de près par le « cabincore » – de l’anglais cabin (cabane en français) –, sensiblement la même chose que le « cottagecore » mais version automnale. On pensait en rester là, au milieu de la nature avec notre chemise de bûcheron en flanelle. Mais non. Ça a été le tour du « regencycore », aussi appelé « royalcore » qui, inspiré par la série La Chronique de Bridgerton, a remis au goût du jour les costumes de l’époque de la régence anglaise… Et puis quoi encore !?
Des tenues déconstruites et asymétriques
Voilà que débarque le « dystopiacore », une nouvelle tendance de niche qui fait fureur sur les réseaux et particulièrement sur TikTok, sous le vocable « Avant Apocalypse ». Loin du style preppy et de ses couleurs acidulées, cette mode s’engouffre dans le « survivialisme » pour dégager une esthétique de fin du monde entre les tenues utilitaires voire militaires du baroudeur, les costumes futuristes du film Dune et les longs manteaux en cuir de Matrix. Des tenues souvent déconstruites et asymétriques, parfois même à l’envers, avec des mousquetons et mêlées à des jeux de superposition improbables dans une palette de couleurs neutres tel que le noir, le gris, le kaki et… le noir !
« Les tendances de mode comportent souvent un élément de défiance. Ici, la défiance est l’obscurité et l’aspect dystopique, explique la trend-setteuse Geraldine Wharry au journal anglais The Guardian, en janvier dernier. L’idée est que l’optimisme n’est pas cool et ne reflète pas notre époque actuelle ; une attitude semblable à ce que les punks ont représenté dans les années 70. »
Du côté du « dark style »
Le « dystopiacore » viendrait donc en réaction à l’actualité déprimante de ces dernières années et à l’avenir peu radieux qui semble se profiler. Entre la pandémie, le réchauffement climatique, la crise sociale et la guerre en Ukraine, la mode, à la fois cynique et prédictive, se prépare à l’apocalypse. Un des grands représentants de ce « dark style » est sans conteste le rappeur Kanye West qui ne sort plus sans sa cagoule intégrale, ses bottes type « bulldozer » de chez Balenciaga et son total look en cuir noir.
Côté créateur, Rick Owens est le chef de file de cette mode anticonformiste. Son défilé printemps-été 2022, sur l’île Lido, donne l’impression de mannequins naufragés avec leurs tops en maille déchirés, leurs baggies oversize et vestes déconstruites. L’hiver dernier, tous étaient masqués avec des manches tombantes, des trous dans les pulls et des manteaux traînant au sol. Le prochain, ils ont carrément des néons sur la tête (ça peut toujours servir) et des cagoules intégrales. C’est beau mais désolant. Marine Serre puise également son inspiration dans l’apocalypse. Son défilé printemps-été 2020 s’intitulait même Marée Noire. Celui d’après montrait des masques à gaz…
Un masque facial anti-pollution
D’autres maisons, moins radicales, surfent sur cette vague « fin du monde » avec des pièces techniques et utilitaires pour la ville, mises en scène dans des décors de science-fiction. C’est le cas de White Mountaineering au milieu des roches, Canada Goose dont la collaboration avec le designer Salehe Bembury est présentée dans un paysage dévasté ou C.P. Company qui a réédité sa veste Métropolis avec masque facial anti-pollution intégré. Là aussi, ça peut servir. Mais, aussi pratique et confortable que soit le « dystopiacore », espérons qu’il soit vite remplacé par un autre phénomène en « core » dont les prophéties seront moins hardcore !
