90 ans de Tintin : La leçon de style d’Hergé

Le 10 Janvier 1929, Tintin faisait son apparition en page 4 du Petit Vingtième à Bruxelles. Quatre-vingt dix ans plus tard le petit reporter est une icône de la bande ­dessinée. Il y a 15 ans, Monsieur en avait fait sa couverture (archive N°44, 2004). Nous révélions comment le ­stylisme et une grande attention aux ­vêtements avaient contribué à la création du ­personnage. Hergé était aussi un dandy. Voici l’article, réactualisé, que nous avions publié. 

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Hergé l’a voulu : Tintin est mort avec lui ou plutôt, comme lui, il est entré dans l’éternité. Figé à jamais dans ses 22 aventures, son pull bleu et ses culottes de golf, le héros le plus célèbre de la bande dessinée dont on va célébrer les 90 ans le 10 janvier 2018 exerce une fascination intacte tant sur les jeunes lecteurs que sur les amateurs de bandes dessinées. Le mystère de l’œuvre d’Hergé fascine. Mystère car outre avoir été l’inventeur et le précurseur de «la ligne claire» en bande dessinée, plus on étudie Tintin, plus on est impressionné par la profondeur de l’œuvre et l’intelligence de la construction du personnage. Son meilleur spécialiste, Benoît Peeters résume par une formule lapidaire la relation de cet auteur hors norme avec son personnage au succès planétaire en titrant la monumentale biographie qu’il lui consacre Hergé, fils de Tintin (2002). Par-delà la formulation provocante du titre, on touche à l’essentiel de la relation entre Hergé et son héros,« Tintin, c’est moi », déclara souvent le dessinateur. Et là tout s’éclaire… au moins quant au style.

UN JEUNE JOURNALISTE TRÈS ÉLÉGANT

Fils d’un représentant en vêtement et d’une couturière, Georges Remi a baigné toute son enfance dans le monde du style et de ­l’élégance. Très jeune déjà, ce petit Remi impressionne ses camarades par ses vêtements parfaitement coupés, confectionnés à ses mesures par sa mère. Jeune journaliste, il sera jalousé par ses collègues à cause de son élégance rare. «Hergé frappait Jamin par son élégance. En bon fils de tailleur, il était toujours tiré à quatre épingles. Sans doute est-ce sa mère qui lui coupait des costumes sur-mesure. Georges, qui continuait d’habiter avec ses parents au 34, rue de Theux, disposait de plus d’argent que les jeunes gens de son âge. Il fumait des cigarettes chères, des Craven A, et portait des cravates à la mode. » Même à cette époque élégante – les années 20 – on le remarque et il est considéré comme un dandy.

LES AMÉRICAINS ET LA CULOTTE

Dans la plupart de ses ­aventures, Tintin adopte le costume local ici une planche extraite dʼun des ­premiers albums Tintin en Amérique.

Benoît Peeters, qui a pu travailler sur les archives des studios Hergé, a noté sa grande attention aux vêtements dans les nombreux dessins préliminaires de chaque planche. En toutes circonstances, Tintin porte des vêtements qui bougent bien, qui lui vont, qui font corps avec le personnage.

Qu’il dévale un escalier en enfilant son trench coat – L’Oreille Cassée – ou marche dans le désert – Le Crabe aux Pinces d’Or – Tintin a de l’allure.

Oui mais ses culottes de golf… ? Dans les années 20, c’était le costume type du jeune homme à la mode et il n’y avait aucune extravagance à cela. Que cela soit devenu comme une marque de fabrique par la suite est une autre affaire. D’ailleurs, en fonction de ses ­aventures, Tintin adopte volontiers soit des tenues plus adaptées aux circonstances, soit aime à se fondre dans le pays qu’il traverse en adoptant des tenues locales. Plus remarquable en revanche, est la décontraction sensible du personnage qui, à partir de l’album Le trésor de Rackham le Rouge, abandonne la cravate et se met au polo ou à la chemise et au pull over. Preuve d’une décontraction peu courante à l’époque.

Perdu dans le désert à demi mort de soif, Tintin a encore une démarche très stylée. Il porte son éternel imperméable comme un gentleman. Seul entorse populiste, le mouchoir noué sur la tête.

UN SPÉCIALISTE DU COSTUME

Quant à l’abandon des fameuses culottes de golf, dans Tintin et les Picaros, Hergé aurait confié à Benoît Peeters avoir revêtu d’un espèce de jean son héros sous la pression des Américains qui ­souhaitaient adapter Tintin au cinéma… Cette attention au vêtement, Tintin n’en est pas le seul bénéficiaire.

Hergé démontre toute sa finesse à travers les costumes des Dupont & Dupond, anachroniques et ringards même dans les années 30 quelques fois soulignés par le texte « c’était un chapeau presque neuf, acheté il y a moins de trente ans ».

Même attention du créateur pour le professeur Tournesol dont l’originalité est accentuée par une garde-robe ridicule ou le capitaine Haddock dont l’authenticité est renforcée par un « uniforme » de vieux bourlingueur. Uniforme que le capitaine n’abandonne que dans Les Bijoux de la Castafiore pour se lancer dans un véritable défilé de mode se changeant de ­vêtements à chaque scène ou presque dans un style proche de celui qu’affectionnait Hergé lui-même. Exception notable dans le monde de la BD, plutôt bohème et décontracté, Hergé était ­toujours habillé avec soin. Même quand il travaillait, il arborait cravate et veste… marqué à jamais par des origines familiales un peu guindées.

EN CRAVATE À LA PLAGE

Chez les Remi, on portait encore le costume trois pièces pour aller à la plage. Pour les spécialistes de l’œuvre d’Hergé, cette attention aux vêtements démontre aussi que le dessinateur cherchait absolument à ce que tout fasse sens. Et pour lui, rien n’était secondaire. Ce souci du détail (vestimentaire) contribue à démontrer que derrière l’apparente simplicité de la ligne claire, qu’il y a un fantastique et minutieux travail, une finesse et une intelligence peu commune qui expliquent le succès de cette œuvre. Faire simple est là encore ce qu’il y a de plus compliqué.

Bibliographie : *Hergé fils de Tintin, Flammarion éditeur
www.tintin.com


LE STYLE À LA LOUPE

Pour démontrer lʼintemporalité du personnage de Tintin, sa garde-robe peut se reconstituer sans ­difficulté dans les boutiques. Son trench et sa casquette – Tintin en Amérique, 1932 – sont même devenus des best-sellers.

Trench-coat Heritage The Kensington en gabardine de coton, Burberry.


Veste Henry en tweed Holland & Sherry, coupe cintrée avec martingale cousu au dos, Artumès & Co


Gilet Marius en laine à motif chevrons, (L’Égoïste).


Pull en laine mérinos, Hollington.


Casquette en laine, Stetson.


Knickers en tweed, chaud et déperlant, doublure en satin, Mettez.


Derbys Helston II en suede, semelle en gomme, Crockett & Jones.


Sac Photographe en toile de coton, déperlant, détail en cuir de veau, transformable en besace ou sac à dos, L/Uniform.

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